Les médias français et internationaux ont trouvé un fabuleux terrain d’expansion en Afrique. En profitant des opportunités offertes sur le marché de l’information et d’une majorité de locuteurs francophones, chacun y va de sa propre édition à destination de la population africaine, de la diaspora mais aussi de potentiels investisseurs intéressés par le continent.
Les médias français prennent d’assaut le marché de l’information en Afrique francophone. Canal+ par exemple gagne plus d’abonnés en Afrique que dans son bastion français, où son audience est d’ailleurs en berne, ce qui a motivé la création de la chaîne A+ entièrement dédiée aux contenus africains fin 2014. En janvier 2015, Le Mondecréait Le Monde Afrique avec pour ambition de devenir le média francophone panafricain de référence en matière d’actualités locales et internationales.
Certes les médias français et internationaux tournés vers l’Afrique ne sont pas nouveaux, comme peuvent en témoigner le magazine Jeune Afrique édité depuis 1960, la chaîne de radio Africa n°1 qui émet depuis 1981 ou encore la chaîne TV5 Afrique lancée en 1991.
Cela dit, on constate que les médias internationaux à destination de l’Afrique sont aujourd’hui en pleine expansion. Ainsi les médias d’information sont nombreux à proposer leur propre version de l’actualité africaine, à destination des populations locales mais aussi de la diaspora et d’éventuels investisseurs. C’est le cas du français Slate qui a lancé Slate Afrique dès 2011, The Huffington Post qui a lancé le HuffPost Maghreb en 2013 ou encore Le Point avecLe Point Afrique en l’année suivante.
Rentabiliser l’expansion des médias vers l’Afrique
C’est un véritable tropisme africain qui s’est installé à l’aube des années 2000 dans les discours et les stratégies des patrons de chaînes de télévision et de journaux. La dynamique à l’œuvre aujourd’hui ne concerne plus uniquement les acteurs spécialisés sur le continent africain. Les médias internationaux cherchent tous à capter une part de l’alléchante croissance africaine.
Sébastien Le Fol, directeur de la rédaction du Point, ironisait lors d’une intervention dans l’émission L’Atelier des Médias sur RFI sur le caractère d’« œuvre humanitaire » de l’investissement des médias français en Afrique. Après tout, la publicité est le « nerf de la guerre » et tout l’enjeu pour cette nouvelle catégorie d’investisseurs en Afrique est de rentabiliser leur nouveau positionnement.
De nouveaux business modèles ?
Toutefois le marché africain des services web a ses caractéristiques propres qui le distingue assez largement de son homologue occidental. Pour commencer, l’accès à Internet en Afrique est avant tout mobile. Le continent a le taux le plus bas au monde d’équipement informatique alors que la pénétration des téléphones mobiles y était estimée à plus de 75% en 2013. Pourtant, très peu d’Africains disposent d’un smartphone d’où il faut retenir que la grande majorité d’entre eux ont seulement accès à des interfaces web mobiles très basiques. Du coup il faudra que les sites d’information qui prennent d’assaut le continent se conforment aux terminaux les plus basiques d’Internet, que ce soit du point de vue ergonomique comme de l’aspect puissance.
En janvier dernier, le groupe Le Monde faisait de la régie publicitaire FacilitAds le représentant exclusif pour la commercialisation de l’espace publicitaire des sites Le Monde et Le Monde Afrique au Maroc, en Côte d’Ivoire et au Sénégal, trois des pays africains qui réalisent le plus de trafic à l’étranger sur le site fixe du Monde avec l’Algérie et la Tunisie. Une aubaine pour le groupe quand on sait que les régies publicitaires ont tendance à manquer de structuration, notamment dans le domaine du digital. Les revenus publicitaires sont relativement mal assurés sur un continent où les marchés publicitaires restent très largement structurés de manière nationale. Afrique-technologienous apprend justement « qu’en 2013, la publicité en ligne ne représentait que 4% des dépenses publicitaires totales en Afrique du Sud, contre près de 25% en moyenne en Europe ». Aussi le coût de la diffusion publicitaire est beaucoup plus coûteuse qu’en Occident étant donné qu’elle coûte plus cher sur les mobiles que sur l’Internet fixe.
Egalement, la culture du paiement en ligne est assez différente en Afrique : le modèle de l’abonnement est bien moins répandu que celui des souscriptions prépayées, à l’image de ce qui se pratique sur le marché des communications mobiles. On pourrait alors imaginer des médias en ligne qui tarifient l’accès à chacun de leurs articles plutôt que de proposer un abonnement au mois ou à l’année pour des services illimités. Les consommateurs de médias paieraient non pas pour une gamme de contenus dans son intégralité mais pour les contenus bien précis qui les intéressent. Les moyens de paiement classiques sont aussi à repenser et une alternative aux cartes bancaires semble nécessaire, à l’image des cartes bancaires prépayées rechargeables proposées par Orange Money.
La francophonie, tremplin d’accès à l’Afrique pour les médias internationaux ?
Dans ce contexte, la francophonie est une aubaine pour les médias français mais aussi internationaux. L’Afrique étant en pleine expansion démographique, la banque Natixis a estimé que le français serait la langue la plus parlée au monde d’ici 2050, devenant ainsi la langue de 750 millions de personnes contre 220 millions recensés en 2010. L’Observatoire démographique et statistique francophone estime quant à lui qu’il devrait y avoir jusqu’à 1 milliard de locuteurs francophones d’ici 2050-2060 et 12% seulement vivront alors en Europe. L’avenir des médias français est donc véritablement tourné vers le continent africain, qui plus est si la classe moyenne africaine continue de prospérer.
Ces projections sont toutefois à relativiser puisque tous les habitants des huit pays africains qui reconnaissent le français comme leur langue officielle ne le parlent pas forcément couramment, voire pas du tout. L’enjeu de l’information de la population est donc encore à saisir sous l’angle de multiples traductions pour nombre de pays africains, notamment le Sénégal où le wolof est la langue majoritaire au quotidien tandis que le français est relégué principalement dans le domaine de l’administration.
Dans tous les cas, l’Afrique est un continent dont il ne faut pas négliger la richesse de sa multiculturalité et in fine de son multilinguisme. Les nouveaux arrivants internationaux sur le marché des médias locaux vont devoir faire preuve d’un véritable effort d’adaptation aux particularités locales. Sur un continent à faible bancarisation et forte pénétration mobile, l’approche devra de toutes façons être nationale puisque les opérateurs mobiles sont des intermédiaires indispensables pour les médias internationaux.
Et en attendant, ces médias peuvent toujours s’adresser à une diaspora dont on ne saurait négliger l’importance et l’ampleur. En effet, les quelques deux millions d’Africains installés en France représentent un marché considérable, d’autant plus que les limitations techniques des terminaux Internet évoqués précédemment et la question de l’adaptation locale n’ont pas lieu d’être avec ceux-ci.