Depuis les années 1980, les politistes français s’échinent à chercher une explication au vote FN. A croire que c’était peine perdue puisque personne n’avait imaginé ces dernières années que ce petit parti d’extrême-droite ne puisse devenir le premier parti de France. Et pourtant la « feinte » des régionales de décembre 2015 n’a pas été à l’encontre de cette tendance et a démontré une percée fulgurante pour le parti de Marine Le Pen.
Une « fausse note au sein de l’harmonie républicaine »
La journaliste tunisienne Inès Oueslati s’inquiète d’un retournement inattendu : la banalisation du parti des Le Pen qui était jusque-là soigneusement écarté de la vie politique en ce qu’il passait « outre les valeurs d’une France colorée et éclairée ». Aujourd’hui, la classe dirigeante française ne peut plus composer sans le FN, cette « fausse note au sein de l’harmonie républicaine ».
La France a subi de plein fouet, comme ses voisins, les conséquences d’une mondialisation socio-économique débridée et d’une européanisation ultra-rapide. Les partis de gouvernement traditionnels, la droite et la gauche de la libéral-démocratie européenne, n’ont su apporté aucune réponse à la mollesse de la croissance et à la dégradation du marché du travail. La déferlante des migrants et la question de terroristes déjà infiltrés sur notre sol n’ont fait qu’accroitre l’inquiétude des Français quant à un avenir très incertain et ont nourri leur amertume vis-à-vis d’une classe dirigeante complètement perdue par les événements.
Le FN devient-il un « véritable choix politique alternatif » ?
Die Welt, le quotidien allemand, le fait que le FN n’ait pu obtenir aucune région le 13 décembre n’offre « qu’un cours répit pour la France et l’Europe, pas plus ». Le désespoir profond dont ont témoigné près de 7 millions de votants le 6 ne va pas disparaitre comme par enchantement et pourrait bien contaminer les présidentielles de 2017 s’il continue à se répandre à ce rythme-là. Pour Inès Oueslati, « le FN n’a pas changé, c’est la France qui n’est plus la même ».
The Guardian, les dernières élections ont montré que le vote FN n’était plus simplement contestataire mais relevait désormais d’un « véritable choix politique alternatif ». Effectivement, difficile de considérer qu’un vote reflète une intention contestataire quand il rassemble 28% des votants. Pour Le Devoir québécois, c’est bien une « fausse victoire des ‘’vieux partis’’ » qu’ils ne doivent qu’au système électoral français : le FN ne dispose finalement d’aucune région alors qu’il a prouvé son statut de premier parti de France.
Une Europe éclatée et désenchantée
Dans toute l’Europe, des petits partis montent dangereusement en optant pour des solutions nationalistes et anti-européennes plus ou moins véhémentes, que ce soit les conservateurs à l’image de Victor Orbán en Pologne, Jarosław Kaczyński en Pologne ou quelques rares représentants de l’extrême-gauche tels Alexis Tsípras en Grèce, Antόnio Costa au Portugal. Le problème est que ces tendances qu’on décèle dans l’ensemble des pays membres de l’UE font désormais trembler les piliers de la zone. Marine Le Pen n’a jamais caché son ambition de former une vaste coalition de mouvements ultra-conservateurs, proches de l’extrême-droite et marqués par l’euroscepticisme pour mettre à mal l’intégration européenne. Si elle devait l’emporter aux présidentielles de 2017 (ce qui est tout de même à relativiser au regard du revirement opéré au second tour des régionales le 13 décembre dernier), la France, un des deux principaux piliers de l’Union, viendrait mettre elle-même un brutal coup d’arrêt au projet européen.
Ile sole 24-ore milanais, la « comète Le Pen » préfigure des déstabilisations sans précédent au sein de l’UE, un repli sur les Etats nations et la perspective peu enviable d’une Allemagne condamnée à un exercice solitaire du pouvoir. Or le retour à une Europe sans Union serait préjudiciable pour les pays de la zone qui ne sont pas de taille à faire seuls face à la concurrence des grandes puissances mondiales. Qui plus est les problèmes actuels auxquels les pays occidentaux doivent faire face ne sauraient être résolus par les petites entités nationales européennes dans une cacophonie de voix aux intérêts multiples et désassemblés.
En Allemagne, les milieux d’affaire s’inquiètent également des logiques marxistes et nationales-socialistes au rabais revendiquées par le Front National. Si le parti devait parvenir au pouvoir, il représenterait aussi un « danger pour le système européen d’économie de marché » d’après le président de la Fédération allemande du commerce extérieur Anton Börner.
La grande question qui émerge pour beaucoup est de savoir quelle va être la réponse de la classe politique bien-pensante à l’ascension fulgurante du FN. Il ne s’agit plus de minimiser les inquiétudes légitimes des citoyens ni de condamner le vote extrême mais d’en tirer de véritables leçons.