Le showroom des l’internet des objets qui a eu lieu en avril dernier à la Cité internationale de Lyon a été l’occasion d’appréhender les véritables enjeux de l’IoT. Olivier Ezratty, bloggeur et auteur du Guide des startups, et Rafi Haladjian, fondateur de Sen.se, sont revenus sur les réelles potentialités de ce domaine en devenir.
Qu’en est-il vraiment de l’internet des objets ?
Si le sujet génère de plus en plus de réflexions et d’interventions de professionnels du secteur, il est quand même nécessaire de se demander si l’IoT suscite un réel « engouement ». Pour Rafi Haladjian, ce n’est pas vraiment le cas. Certes, il y a une véritable effervescence autour de l’IoT, mais celle-ci est sans commune mesure avec la perception du commun des mortels. Pour la plupart des gens, les « objets connectés » n’évoquent encore que très peu de choses, mis à part les drones ou les imprimantes 3D. Les professionnels de l’IoT visent aujourd’hui le mass market, mais le grand public reste encore largement insensible aux nouveautés du domaine.
Internet avait initialement généré le même problème : tout le monde en parlait dès ses débuts, mais il a fallu attendre cinq ou six ans avant que les gens s’en servent réellement. A partir de ce moment-là, Internet était devenu évident, il n’y avait plus besoin d’en parler. En ce qui concerne les objets connectés, tout reste à faire. Ils sont encore de simples cadeaux de noël et cherchent à fonder à termes un nouveau modèle fiscal.
Certains services connectés fonctionnent mieux, tels que la santé, la sécurité ou la maison intelligente. Pour le fondateur de Sen.se, ces domaines relèvent de « problématiques de père de famille », de la gestion des angoisses du quotidien, et ce sont donc ceux pour lesquels les gens se montrent prêts à payer 150€.
La question du prix est cruciale dans l’IoT, elle doit être sans cesse corréler à l’usage. On peut ainsi penser à Apple, qui a véritablement créé le forfait mobile en lançant son iPhone. Celui-ci a ainsi permis de développer l’usage de l’internet mobile en-dehors du seul monde de l’entreprise par la mise en place d’un forfait élevé mais indolore.
Etre en adéquation avec les comportements
Rafi Haladjian, qui travaille sur l’IoT depuis ses débuts, a cherché à passer à la prochaine génération des objets connectés en se demandant comment les comportements deviennent pérennes et matures.
La première étape lorsqu’on s’empare d’un objet connecté est celle de la révélation. On est fasciné par la quantification de choses non mesurables, comme avec un compteur de pas par exemple. Ensuite, on ajuste notre comportement jusqu’à un certain plateau. On atteint bientôt notre effort maximum, où la maintenance de l’objet connecté n’est plus rentable par rapport à ce qu’il nous apprend. Vient alors le décrochage, une sorte de « traversée du désert de la data ». Le meilleur moyen pour reconnaitre quelqu’un dont l’anniversaire vient de passer ? il a une smart watch au poignet : personne ne la garde plus de trois mois accroché au bras. On a ensuite un relatif retour à l’objet connecté, au bout de 8 à 10 mois, puisque la big data sur la longue période offre de nouvelles informations telles que des analyses saisonnières.
Le maillon faible des objets connectés est sans contexte la motivation fluctuante de leur propriétaire. Rendre la récolte de la data la plus fiable possible passe par le design de l’objet connecté et donc par l’expérience utilisateur. Le défi technique le plus complexe à relever pour l’IoT à l’heure actuelle est de motiver l’utilisateur au point de lui faire changer son comportement. Il s’agit par exemple de penser à charger un device tous les jours – ce que beaucoup font déjà avec leur smartphone mais pourraient-ils en faire autant avec un capteur ?
Dans cette optique, Rafi Haladjian a lancé Mother, un capteur d’une durée de vie d’un an complet, sans bouton, fonctionnant uniquement grâce à des algorithmes pour comprendre tout seul ce que les gens font. Le design est adapté pour qu’on l’emmène partout, ce qui induit notamment qu’il soit suffisamment plat pour qu’on puisse dormir dessus sans le sentir. Mother a pour objectif de se fondre totalement dans la vie des gens.
L’IoT se lance sur le mass market
L’étape suivante de l’IoT, c’est le mass market. Mother est commercialisé à 29€ et peut mesurer la température, le sommeil, ou encore l’hydratation. L’objectif est de faire sortir les objets connectés du ghetto de l’internet des cadeaux de noël. Olivier Ezratty note qu’un bon principe d’investissement serait celui de la « loi de la brosse à dent de Google » : un produit n’est intéressant que si l’on va s’en servir quotidiennement. C’est le cas du Peanut lancé par l’entreprise de Rafi Haladjian : grâce à un algorithme qui détecte les mouvements et détermine les situations alternatives, le capteur Peanut permet de savoir si les gens prennent leurs médicaments aux horaires indiqués et le leur rappelle si ce n’est pas le cas.
Un des principaux blocages au démarrage de l’IoT est la question du prix. On n’en parle pas mais 60% du prix des objets connectés paie l’étagère sur laquelle ils sont installés. Rafi Haladjian conseille de repenser la distribution, les marges et le marketing. Le seul mérite de la technologie et des usages ne suffira pas, il faut rendre les objets connectés accessibles au plus grand nombre.
Les objets connectés de la smart home se développent lentement par rapport à ce qui se porte, le « wearable ». Il y a une espèce de futilité, un certain côté frime dans ces objets que l’on a sur nous. Le tracking existait à l’origine par des capteurs glissés dans les poches des joggeurs ; mais il n’a décollé qu’avec le bracelet de Nike, quand les coureurs ont pu l’exhiber à leur poignet. Cette tendance pourrait s’inverser si les objets connectés deviennent des appareils du quotidien.
Aujourd’hui, on produit encore un nombre très restreint de produits. Apple par exemple ne commercialise que quatre à cinq produits en même temps. Mais l’IoT entraine une explosion des canaux par lesquels transite la data. L’avenir de ces business modèles à nombre de produits limité est donc à questionner. Des entreprises comme le jeune chinois Xiaomi – qui produit des téléphones, des bracelets connectés, des drones et même des hoverboards – seraient plus adaptées au nouveau modèle fiscal en train d’émerger.
Pour investir le marché des objets connectés, il va falloir être prospectif : se montrer capable d’anticiper les postes de dépenses qui vont augmenter ou diminuer. On peut facilement prévoir une diminution dans la part de la nourriture dans les dépenses tandis que le budget familial pourrait se réorienter vers les divertissements connectés. Les Français dépensent en moyenne 800€ pour noël, mais il faut espérer que ce budget ne sera pas le seul qui investira l’IoT. Les objets connectés vont pouvoir capter d’autres postes de dépenses comme celui du mobilier ou de la santé.
Loin de rester cantonnés à des questions de consommation ostentatoires, les connected devices en provenance du BtoB vont quand à eux bientôt engendrer un raz-de-marée ! Là sont la valeur et l’enjeu de la big data.