Xi Jinping a effectué du 19 au 23 janvier des visites au Moyen-Orient et notamment en Egypte qu’il veut voir devenir le nouveau carrefour de la production chinoise issue de sa « nouvelle route de la soie ». Une occasion de se pencher un peu plus sur la relation Chine-Afrique, qui fascine au moins autant qu’elle est critiquée. Alors, qu’en est-il vraiment du poids de Pékin sur le continent africain ?
Une relation historique avant d’être économique
Depuis les années 1950, le continent africain a été un terrain d’affrontement entre les blocs de l’Est et de l’Ouest. La Chine a donc très tôt manifesté son intérêt pour l’Afrique en soutenant les mouvements indépendantistes des Etats colonisés et en s’illustrant comme le premier pays non arabe à reconnaitre le gouvernement provisoire d’Algérie. A l’orée des années 2000, on a pu observer un retour en force de la Chine en Afrique, motivée par des besoins économiques, énergétiques mais aussi politiques.
Après les années 1980, l’Occident a délaissé l’Afrique fraichement décolonisée pour l’Europe de l’Est. C’est la Chine qui a permis grâce à ses achats de matières premières de maintenir les cours en Afrique et même de provoquer un renouveau économique dont ils ont du coup été les premiers bénéficiaires grâce à leur présence sur le continent.
En 2013, les échanges commerciaux sino-africains franchissaient la barre des 200 milliards de $ ce qui a renforcé Pékin dans son rôle de premier partenaire commercial de l’Afrique, détenu depuis 2009 au détriment des Etats-Unis et de l’Europe. Toutefois il faut garder à l’esprit que les investissements chinois en Afrique sont souvent surestimés : les Etats-Unis restent les premiers pourvoyeurs d’investissements directs à l’étranger sur le continent africain. Aussi, le cumul des investissements du Brésil, de la Russie et de l’Inde est supérieur à ceux de la Chine.
Une relation d’échange biaisée ?
Cependant, les termes d’un échange proprement « bilatéral » ne seraient pas tout à fait appliqués. Des reproches à l’égard d’une présence chinoise invasive et illégitime sont souvent âprement exprimés. Notamment la question de la main d’œuvre utilisée par les sociétés chinoises qui préféreraient travailler avec des Chinois expatriés qu’avec la population locale. Ici Pékin se défend en avançant que le nombre de Chinois travaillant à l’étranger ne serait que de quelques 800 milliers et que la population active fait déjà défaut à l’intérieur du pays. Mais les relations entre les sociétés chinoises et les locaux ne sont pas toujours au beau fixe. En février 2013, le gouvernement zambien avait dû prendre le contrôle d’une mine de charbon exploitée par une société chinoise au motif que celle-ci ne payait pas ses redevances et bafouait les normes environnementales et de sécurité.
On dénonce souvent un prétendu accaparement des terres africaines par les sociétés chinoises ; dans les faits, c’est simplement faux. Les propriétés foncières en Afrique détenues par des étrangers le seraient d’abord par les pays du Golfe et l’Europe avant la Chine selon la base de données International Land Coalition.
Pour certains, l’intérêt de Pékin pour l’Afrique viendrait de ce que la République Populaire de Chine lorgne dangereusement sur les ressources naturelles du continent. La dépendance énergétique est en effet devenue une préoccupation centrale pour Pékin qui s’inquiète d’une position d’importateur de ressources insoutenable quant au rôle mondial que la Chine doit désormais assurer. En Indonésie, les ressources pétrolières se sont raréfiées et il est devenu primordial pour le gouvernement chinois d’employer tous ses moyens à diversifier ses sources d’approvisionnement. Les ressources moyen-orientales ayant été largement accaparées par les Etats-Unis (à l’exception de l’Iran) et les ressources de la Mer Caspienne s’étant avérées finalement décevantes, l’Afrique s’est imposée d’emblée comme le puits de pétrole à acquérir pour Pékin. Cependant les difficultés rencontrées dans la zone du Proche-Orient par les Etats-Unis ont fini par ajuster la stratégie énergétique de Washington qui se tourne désormais lui aussi vers l’Afrique et le continent devient un terrain de confrontation entre les géants américain et chinois. Or le gouvernement chinois tient à se différencier de ses concurrents en adoptant une stratégie plus souple vis-à-vis de ses partenaires africains.
Au-delà des reproches que certains font à Pékin sur son ingérence physique en Afrique, on peut surtout admettre que l’Afrique a à craindre de sa dépendance à l’égard de la Chine. En décembre dernier, les effets d’un certain ralentissement de la croissance économique chinoise, ramenée à 7% selon les officiels, a été immédiatement ressenti par les économies africaines qui se reposent sur l’exportation de leurs minerais vers le géant chinois alors qu’elles étaient déjà fragilisées par la baisse des cours des matières premières. La Zambie et la République Démocratique du Congo ont été particulièrement touchées par ce recul de leurs exportations de platine et de cuivre, tandis que le Nigeria et le Liberia souffraient de la chute des cours du pétrole et du fer.
La stratégie de Pékin en Afrique
Le magazine chinois Outlook a souligné la singularité de la présence de Pékin en Afrique : « Depuis vingt ans, la raison pour laquelle le commerce sino-africain a progressé rapidement et a suscité l’envie de l’Occident est que la Chine ne s’ingère pas dans les affaires intérieures africaines et qu’elle est prête à payer à l’Afrique un prix plus élevé que les pays occidentaux ». En effet, la Chine privilégie les infrastructures et, contrairement aux Empires coloniaux occidentaux, ne conditionnent pas ses aides et ses crédits.
Pour Sébastien Le Belzic, directeur du site Chinafrica.info, la relation Chine-Afrique repose sur des liens de type économique : « Il s’agit d’entreprises publiques chinoises qui financent et construisent des infrastructures sur le continent africain en échange de concessions sur les matières premières, sur les terres, ou de prêts à taux négociés » de sorte que la relation est mutuellement bénéfique. Il souligne toutefois que la Chine n’est pas dupe au point de s’attendre à ce qu’on lui rembourse les investissements massifs qu’elle fait en Afrique, et d’ailleurs sa position de géant économique ne le requière pas absolument. Les financements chinois en Afrique sont du coup particulièrement opaques mais l’Afrique doit nécessairement s’ouvrir à d’autres partenaires pour ne pas être entravée dans son développement par sa dépendance envers Pékin.
En 2006, Pékin avait proposé d’instaurer six zones économiques spéciales (ZES) sur le modèle de Shenzhen en Afrique pour accroitre le développement de l’industrie africaine et à terme changer les modalités de l’échange. Pékin joue aussi sur un registre de « cadeau généreux » dans ses discours pour valoriser la fameuse amitié sino-africaine.
En décembre 2015, le sommet Chine-Afrique à Johannesburg s’ouvrait sur cette déclaration de Xi Jinping : « La Chine a décidé d’octroyer un total de 60 milliards de dollars d’aide financière incluant 5 milliards de prêts à taux zéro et 35 milliards de prêts à taux préférentiels », une somme au total trois fois supérieure à celle promise en 2012 lors du dernier sommet sans toutefois qu’aucun calendrier ne soit annoncé. Les projets de la Chine en Afrique ont été exprimés sur des sujets tout à fait divers : grands projets de réseaux d’infrastructures et d’industrialisation, divers programmes de coopération dans des domaines tels que l’agriculture, la sécurité, la santé ou encore le développement vert, octroi de bourses aux étudiants, création de centres de formation, projets de « vie heureuse » pour lutter contre la pauvreté…
Le point d’arrivée de la nouvelle « route de la soie » en Egypte ?
Xi Jinping a invité l’Egypte à participer au sommet du G20 qui se déroulera en septembre 2016 à Hangzhou (j’y serai). Alors que l’économie chinoise est largement montée en puissance ces dernières années, l’Egypte pourrait en profiter pour répondre à ses besoins de fonds, elle qui finance à hauteur d’un quart de son budget national les subventions à l’énergie et les produits de première nécessité. Xi Jinping se rendra dans les jours qui viennent en Egypte pour entériner toute une série d’accords économiques vitaux pour son partenaire soit 15 projets d’investissement pour une valeur de 15 milliards de $. Une occasion pour Pékin de renforcer ses liens avec Le Caire où il avait inauguré il y a 10 ans maintenant la première de ses ZES.
Pour le gouvernement chinois, il s’agit surtout de donner corps au projet fou de Xi Jinping de recréer la Route de la Soie qui a fait toute la grandeur de l’Empire chinois. L’Egypte deviendrait alors la porte d’entrée de l’Afrique et du Moyen-Orient pour les producteurs de textile chinois.
La Chine a également intégré Le Caire et Johannesburg à banque asiatique d’infrastructures, une institution qui se veut alternative au FMI et à la Banque Mondiale et qui pourrait engager de nouveaux prêts en Egypte et Afrique du Sud (les seuls pays africains qui font pour l’instant partie de la BAII). D’ailleurs Pékin lance un projet estimé à 45 milliards de $ pour doter l’Egypte d’une nouvelle capitale administrative, une initiative qui résonne en marge de la découverte de gisements offshore au large de l’Egypte fin 2015. Les entreprises de textile chinoises affluent désormais sur les bords du Nil pour préparer le nouveau carrefour de la production chinoise en Afrique, de même que les touristes qui investissent les pyramides par centaines de milliers chaque année.