Samedi dernier, à l’occasion du Salon de l’Agriculture 2016, François Hollande était chahuté par des éleveurs fustigeant la libéralisation et appelant à prendre en compte la situation critique de leur secteur d’activité. Depuis toujours, le secteur agricole subit les caprices de la conjoncture économique, mais dans les années 1980 il est entré dans une profonde crise qui a dû mal à être enrayée par les innovations du secteur.
L’agriculture est entrée dans une crise structurelle
Il y a encore 100 ans, on comptait 10 fois plus d’agriculteurs en France. C’est la catégorie socioprofessionnelle qui est entrée le plus brutalement en situation de minorité, jusqu’à devenir minoritaires dans son propre espace, les campagnes. Face aux bouleversements que subi le secteur, les agriculteurs ont tenté tant bien que mal de s’adapter. Aujourd’hui, la majorité des jeunes entrants du secteur agricole font d’office le choix de la pluriactivité.
Jusque-là, les crises conjoncturelles avaient toujours secoué le secteur agricole, particulièrement soumis aux aléas de la conjoncture économique. Toutefois des politiques avaient été mises en place pour faire tampon (loi d’orientation poussant à l’agriculture familiale moderne et instauration d’un « prix de soutien » par la PAC dans les années 1960, instauration de « quotas laitiers » pour éviter la surproduction dans les années 1980…). Le secteur était encore habilement régulé et contrôlé. Mais sous l’impulsion de l’Europe, ces mécanismes d’intervention ont été progressivement balayés pour favoriser la libéralisation des marchés, notamment de produits agricoles. La PAC a supprimé son « prix de soutien » en 1992 et l’OMC a limité les aides au secteur 3 ans plus tard. Les aides à la production ont été remplacées par des aides découplées en 2006. Finalement, l’année dernière, les « quotas laitiers » ont été supprimés. Et rien (ou très peu) n’a été fait pour que les agriculteurs puissent s’adapter à la nouvelle concurrence qui sévit sur le secteur.
Des exploitants à l’agonie
Sous le coup de la crise, on voit les agriculteurs se scinder en plusieurs catégories : ceux qui ont su tirer profit de la conjoncture pour rentabiliser leur activité, et ceux qui ploient dangereusement sous le coup des contraintes. Dans le monde, on n’a jamais eu autant de très petites et de grandes exploitations (environ 30% pour les deux) tandis que les petites et moyennes exploitations, plutôt familiales, disparaissent progressivement du fait de leur impossibilité à s’auto-reproduire et trouver des repreneurs. Dépourvus de référentiels communs, les mondes agricoles sont aujourd’hui dans une situation particulièrement complexe où il devient de moins en moins aisé de proposer une politique publique qui serait susceptible de profiter à tous de manière équivalente.
Aujourd’hui, l’agriculture française survit grâce aux perfusions de l’Etat. Bien que la France soit le premier producteur agro-alimentaire de l’Europe, à hauteur de 18%, les agriculteurs s’inquiètent du fait qu’elle ait perdu sa voix et son ascendant à Bruxelles. François Hollande a annoncé lors de sa visite au Salon de l’Agriculture le 27 février dernier que la crise agricole avait changé d’échelle, ne touchant plus seulement la France mais l’Europe entière qui devrait désormais percevoir l’agonie des agriculteurs français.
Dans un rapport publié en décembre 2014, l’Observatoire national du suicide du ministère de la Santé établissait que les agriculteurs sont trois fois plus susceptibles de se suicider que les cadres en France. Jean-Pierre Fleury, président des bovins charolais, explique notamment la détresse des éleveurs français par des une baisse exorbitante des prix. Il manquerait en moyenne 250 euros par bête commercialisée pour que les éleveurs de bovins rentrent dans leur frais, et 40 à 50 centimes par litre de lait pour les éleveurs de vaches laitières.
Pour rétablir un certain contrôle sur les prix, les agriculteurs veulent démanteler la LME, loi de modernisation de l’économie adoptée en 2008 par Nicolas Sarkozy qui avait instauré la liberté de négociation des prix entre les centrales d’achat des grandes surfaces et leurs fournisseurs avec pour objectif d’augmenter le pouvoir d’achat des consommateurs grâce aux baisses de tarifs induites. En marge de cette loi, les agriculteurs dénoncent une « course aux prix toujours plus bas », d’autant plus que leurs coûts ont largement augmenté en raison de l’élévation des prix des céréales qui nourrissent leur bétail. Samedi, François Hollande a affirmé que la LME devait « être revue ».
A quand la fin de la crise ?
Pour François Purseigle, professeur de sociologie agricole et ingénieur agricole, la solution à la crise de l’agriculture française pourrait venir d’une approche pluridimensionnelle. Certaines exploitations ne pourront pas, quoi qu’il arrive, être sauvées sans les aides publiques, seulement grâce au développement de filières alternatives ou par une hypothétique reconversion. « Il va falloir trouver des solutions intermédiaires pour accompagner certains vers des systèmes agroalimentaires alternatifs et conforter d’autres agriculteurs dans des systèmes beaucoup plus conventionnels ». Une chose est sûre, il n’y a pas de recette magique aux crises qui sévissent dans les différentes filières agricoles.
Les agriculteurs sont en tout cas indispensables au bon fonctionnement de la société. Il faut avoir conscience que l’implantation d’un secteur agricole dans un pays ne va pas de soi mais équivaut à un coût et à des politiques visant justement à permettre le développement d’un tel secteur. Au niveau des territoires, ce sont les agriculteurs qui aménagent l’espace et entretiennent le paysage en garantissant d’en faire un espace animé plutôt qu’un amas de lands dépourvus de toute forme de vie. En plus de créer des emplois, les agriculteurs rendent de nombreux services immatériels à la collectivité qui ont un coût social justifiant les prix élevés qui peuvent être pratiqués.