Le rapport de l’IPEMED « Demain la Méditerranée » rassemble plusieurs analyses prospectives des grands changements que devraient connaître la région Euro-Méditerranée à l’horizon 2030. Nous nous sommes penchés ici sur les projections réalisées concernant les évolutions à venir concernant la population active de la région et leurs incidences sur les migrations intrarégionales.
Les pays d’émigration sont désormais aussi des terres d’accueil
Une division traditionnelle différenciait les pays de la région Mena (Moyen-Orient et Afrique du Nord) entre pays d’accueil riches en capital et pays d’émigration riches en main d’œuvre. Cette démarcation n’est plus valide puisque tous les pays d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient sont aujourd’hui producteurs de pétrole, pour autant leur richesse n’a pas créé suffisamment d’emplois pour leurs ressortissants. Les plus grands producteurs subissent lourdement les effets du chômage et mettent en place des mesures de restriction de l’immigration pour y répondre. Du coup, les autres pays de la région sont devenus, malgré eux, des pays d’accueil pour les migrants, tout en restant des pays d’émigration.
L’émigration en provenance des pays arabes s’est accélérée dans les années 2000 après un ralentissement dans les années 1990. A côté de ça, tous les pays d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient accueillent maintenant des migrants internationaux, que ce soit des travailleurs migrants attirés par les marchés locaux du travail ou bien des réfugiés et des migrants en transit.
Face à cette migration irrégulière de masse (qui ne bénéficie pas des avantages sociaux des nationaux), les gouvernements réagissent par des mesures et des lois qui ne favorisent pas l’intégration des migrants mais plutôt leur exclusion. Les migrants constituent donc « une force de travail sous-employée, bénéficiant de peu de protection, mais souvent surqualifiée » et leur disponibilité maintient le coût de la main-d’œuvre à un faible niveau.
Si certains s’inquiètent de la pression que pourrait représenter les migrants irréguliers dans les Psem (Pays du sud et de l’est de la Méditerranée) sur l’Union Européenne, on peut rappeler qu’à l’heure actuelle, la grande majorité d’entre eux n’envisage pas de traverser la Méditerranée.
La migration comme solution aux déséquilibres régionaux sur les marchés du travail ?
Le nombre de nouveaux actifs devrait bientôt se stabiliser, voire baisser, mais les populations actives totales de la région Mena augmenteront encore fortement pendant les vingt prochaines années. L’UE connaîtra la tendance inverse avec une population active totale qui a diminuée dès 2010 et une baisse continuelle prévue jusqu’à 2030.
La question est : la migration de la population active de la région Mena vers l’UE pourrait-elle équilibrer l’excédent de population active de la celle-ci et la pénurie de celle-là ?
On peut déjà noter que les deux phénomènes n’ont pas la même ampleur. L’IPEMED note que « de 2005 à 2030, la population active totale devrait augmenter de 156,318 millions dans la région Mena et diminuer de seulement 23,666 millions dans l’UE ». En ce qui concerne les nouveaux actifs par contre, sur la même période, « le nombre d’individus dans leur 25e année augmentera de 321000 par an dans la région Mena et diminuera de 233000 dans l’UE ». En termes de chiffres, la migration pourrait donc contribuer à la réduction des déséquilibres régionaux.
Des changements structurels bouleversants sur les marchés du travail arabes
D’autres paramètres que l’âge sont toutefois à prendre en compte. La transition démographique a aussi radicalement modifié le rôle des femmes au sein de la famille et de la société. Des taux de natalité plus bas et des mariages plus tardifs permettent aux femmes de participer davantage à la vie active. Or puisqu’elles sont plus nombreuses à rechercher un travail, la demande d’emploi augmente plus vite que la population active. Du coup la génération la plus nombreuse à avoir vu le jour qui arrive sur les marchés arabes du travail est en plus composée des deux sexes.
Cette génération se démarque par ailleurs par son haut niveau de qualification issu d’un important développement de l’éducation scolaire. Les nouveaux entrants sur le marché du travail sont plus qualifiés que ceux qui en sortent et les emplois créés ont donc un profil tout à fait différent de ceux laissés vacants. Si des instituts comme la Banque mondiale dénoncent régulièrement les efforts insuffisants qui sont faits en matière d’éducation dans les pays arabes, leurs marchés du travail comptent trop de personnes qualifiées par rapport à leurs capacités d’embauche.