L’UE a signé vendredi 10 juin au Botswana un Accord de Partenariat Economique avec la SADC, Communauté de développement de l’Afrique australe regroupant une quinzaine de pays. Celui-ci s’inscrit dans la volonté de l’UE de développer ses échanges commerciaux avec le continent africain.
Libre-échange et développement économique
Décidé milieu 2014, il aura donc fallu deux ans d’intenses négociations à l’accord pour qu’il soit finalement signé par les deux parties. Celui-ci est présenté par l’UE sous l’angle du développement commercial et est le premier APE du genre à être signé avec des pays africains dans un but d’intégration économique.
Il garantit de fait à six pays membres de la SADC (à savoir le Botswana, le Lesotho, le Mozambique, la Namibie, le Swaziland et l’Afrique du Sud) un accès de franchise de droits et de contingents au marché européen. Ainsi, il prévoit un montant de 32 milliards d’euros d’exportations annuelles vers l’UE provenant de ces six pays, composés principalement de matières premières minérales, en échange du même volume d’exportations européennes vers ces États, ici composés surtout de produits automobiles et de l’industrie chimique. On peut considérer cet APE comme un accord de libre-échange à part entière puisqu’il entérine pour la première fois le principe de réciprocité imposé par l’OMC. Il devrait à terme permettre la suppression des droits de douane pour les importations vers l’Europe en parallèle d’une réduction progressive de ces mêmes barrières pour les importations vers les pays africains signataires.
Cet APE s’intègre donc au processus de mise en œuvre d’accords de libre-échange initiée par l’UE avec les pays de l’ACP (Afrique Caraïbes Pacifique) depuis l’accord de Cotonou de 2000. Un traité de libre-échange continental avait été signé en juin 2015 qui devait engager tous les Etats de l’Union Africaine. Mais la SADC envoie un message en s’engageant seule, lequel sous-tend qu’elle accord peu d’importance à ce traité précédemment signé.
L’UE a pour projet de continuer sur sa lancée avec d’autres régions d‘Afrique par la signature d’autres accords de partenariat économiques. Certains sont déjà engagés avec des pays d’Afrique de l’Ouest ainsi que la Communauté d’Afrique de l’Est.
Des accords particulièrement controversés
Toutefois, les négociations ont été – et sont toujours – particulièrement houleuses. Beaucoup de critiques assaillent cet APE. Tout d’abord, nombreux sont les experts qui craignent que l’accord ait des conséquences désastreuses pour les économies africaines.
Avant tout, cet accord donne plus de priorités à l’Europe qu’à l’Afrique. Certains avancent que le véritable objectif de l’APE n’est pas de favoriser le développement du continent africain, qui bénéficie aujourd’hui de partenariats diversifiés avec la plupart des acteurs économiques mondiaux, mais de protéger le marché européen de la concurrence de puissances émergentes telles que le Brésil, la Turquie ou la Chine. Cité par Jeune Afrique, Cheick Tidiane Dieye, un des experts du comité régional ouest africain de négociation de l’APE UE-Afrique de l’Ouest, estimé que « L’APE n’est qu’un accord de libre-échange auquel l’UE a ajouté un volet développement en 2007 pour remporter l’adhésion des pays d’Afrique ».
D’autres estiment aussi que l’accord fragmente le continent africain. Pour les économies déjà industrialisées, l’APE devrait leur permettre de poursuivre leur développement. Pour les autres, les choses vont s’avérer beaucoup plus compliquées. Le délai d’application accordé par l’accord serait trop court pour que les produits africains soient capables de faire face à la concurrence bien organisée des producteurs européens.
Des experts mettent en garde contre les effets néfastes de l’accord pour le commerce intra-africain. Si les producteurs africains peuvent exporter vers l’Europe sans avoir à s’inquiéter des droits de douane, ils vont préférer se tourner vers le marché européen que favoriser les échanges avec leurs pays voisins qui ne pourront pas rivaliser avec les mêmes avantages. Selon Ibrahima Coulibaly, vice-président du Roppa, un réseau de producteurs africains et d’organisations paysannes, « Ces accords confinent le rôle de l’Afrique de l’Ouest dans la fourniture de matières premières aux industries européennes, tout en offrant le marché de la région aux produits européens subventionnés… Ils vont y installer la précarité et l’instabilité ».
Aussi, l’APE vise seulement à faciliter le transfert des capitaux et des produits sans pour autant favoriser la circulation des personnes. Certains estiment donc que par cette manœuvre, l’UE cherche à faire émerger un environnement dissuasif pour les futurs candidats à l’immigration clandestine. Autrement dit, l’accord participerait à la stratégie de l’UE de limitation d’arrivée de migrants clandestins sur le sol européen.
La mise à mal des relations Europe-Afrique ?
Finalement, on peut carrément mettre en cause le fait que l’APE ait des conséquences majeures pour les marchés européen et africain. En effet les pays africains disposaient d’un accès privilégié au marché européen pour y exporter leurs matières agricoles avant que soit engagé le processus des APE. Ces accords ne devraient donc pas donner lieu à une explosion des échanges entre les deux continents. Qui plus est, les produits africains vont devoir s’adapter avant cela aux normes européennes, lesquelles représentent une véritable barrière commerciale à l’entrée du marché européen.
L’accord sera soumis en Europe à l’approbation du Parlement européen et aux processus de ratification des 28 Etats membres. Les six pays africains signataires devront eux aussi ratifiés l’accord mais pas la SADC en tant que communauté régionale.
On peut craindre que les relations des deux parties puissent s’envenimer si les conséquences des accords s’avèrent négatives pour l’Afrique. Dans ce cas, la signataire d’autres APE avec le reste du continent africain serait plus que compromise pour l’UE.