Cette semaine, le Fonds Monétaire International a clôturé des entretiens commencés en avril dernier avec les autorités de la CEMAC, organisation régionale d’Afrique centrale qui rassemble le Cameroun, la République centrafricaine, le Gabon, la République du Congo, le Tchad et la Guinée équatoriale. Au terme de cette mission, Mario de Zamaróczy, le dirigeant de la division Afrique du FMI, a retenu que « la CEMAC a été durement frappée par le double choc de la chute des cours du pétrole et des problèmes sécuritaires. »
Une région sous tensions
Effectivement les six pays (dont cinq sont exportateurs nets de pétrole) ont été lourdement impactés par la forte baisse des cours internationaux du pétrole. Le pétrole représente plus de 81 % des exportations et 54 % des recettes budgétaires de la CEMAC. Dans un rapport rendu en juillet 2015, le FMI mettait déjà en garde la CEMAC quant aux conséquences des chocs pétroliers de 2014 dans des pays où « le secteur financier est peu développé et l’intermédiation et l’inclusion financières sont limitées ». La région est en effet particulièrement vulnérable aux aléas des cours des matières premières et à la possible résurgence de crises régionales de sécurité.
La croissance économique régionale est tombée à seulement 1,7% pour 2015, contre 4,7% pour 2014. L’impact des chocs pétroliers s’est ressenti sur l’ensemble du continent mais tout particulièrement sur les pays exportateurs de pétrole dont la croissance moyenne est passée de 5,4% à 2,9% entre 2014 et 2015. C’est particulièrement frappant en ce qui concerne la République du Congo et la Guinée équatoriale. Cette crise touche bien plus lourdement l’Afrique que celle de 2008 en ce qu’elle impacte directement une source essentielle de croissance en Afrique : les matières premières. Et la persistance de faibles cours pétroliers envisagée par les institutions mondiales pour les prochaines années devrait maintenir la croissance régionale en-dessous de 2% (au moins) pour 2016.
Les discussions organisées sous la houlette du FMI se sont concentrées ces dernières semaines sur la définition d’une « politique monétaire commune appropriée » et la nécessité d’une meilleure coordination régionale. D’après l’institution, « des liens régionaux plus étroits aideraient la CEMAC à surmonter les chocs négatifs », d’où le besoin de renforcer l’intégration régionale, de développer les échanges intra-régionaux et de mieux intégrer les marchés financiers. La délégation du FMI a donc invité la CEMAC à ralentir le rythme d’accumulation de la dette en privilégiant les emprunts concessionnels et les sources intérieures de financement. Le Conseil d’administration du FMI devrait examiner le rapport sur les consultations régionales de 2016 en juillet prochain.
L’exportation de pétrole ne permettant plus d’assurer le maintien de la croissance régionale, la plupart des pays africains exportateurs sont maintenant obligés de réduire fortement leurs programmes d’investissement. Pourtant le FMI estime que la région se doit de lancer un « ambitieux programme de réformes pour défendre la stabilité macroéconomique et mieux soutenir une croissance durable et inclusive ».
S’ouvrir aux alternatives
Le FMI souligne la nécessité d’un rééquilibrage des finances publiques de la CEMAC « afin d’affronter une éventuelle chute durable des recettes pétrolières en privilégiant une hausse des recettes non pétrolières ». L’institution craint notamment que de nouveaux chocs extérieurs entrainent une baisse trop conséquente des réserves de devises de la zone.
Une intégration régionale plus poussée et des institutions plus fortes devraient permettre d’améliorer la compétitivité du secteur non pétrolier afin de soutenir la croissance d’Afrique centrale. Pour cela, les autorités nationales et régionales se doivent de permettre la mise en place d’une croissance inclusive dans la région.
En avril dernier, la Banque mondiale a rendu l’édition 2016 de son rapport Africa’s Pulse intitulée « la faiblesse de l’économie mondiale continue d’être un frein pour la croissance économique africaine ». Le rapport souligne également que les difficultés actuelles des pays africains exportateurs de matières premières ont mis en lumière l’urgence d’une diversification économique sur le continent.
La Banque mondiale met en avant dans son rapport les opportunités offertes par l’urbanisation et le développement spatial des villes africaines. Les recherches de l’institut soulignent pour l’instant que les villes africaines sont actuellement surpeuplées, déconnectées et très coûteuses – aussi bien pour les particuliers que pour les entreprises. Mais ce sont ces mêmes villes qui ont le potentiel pour favoriser le développement d’une croissance inclusive et plus soutenable.
Le rapport estime que « l’Afrique a désormais une certaine fenêtre d’opportunité pour exploiter le potentiel des villes comme moteurs de la croissance économique. » Mais pour cela, les gouvernements vont devoir réformer les marchés fonciers et la régulation urbaine afin de favoriser l’investissement. Ils devront également coordonner les premiers investissements en termes d’infrastructure. Egalement, ils devront prendre en charge les classes moyennes et défavorisées.
Makhtar Diop, vice-président de la Banque mondiale pour l’Afrique, considère que la fin du « super-cycle des matières premières est une opportunité de relancer des réformes » en Afrique et pourrait notamment permettre « la mise en œuvre de bonnes politiques pour stimuler la productivité agricole ». Il souligne notamment la nécessité pour les pays africains de transformer sur place leurs produits agricoles. L’enjeu d’une véritable révolution agricole en Afrique subsaharienne est énorme, mais n’adviendra pas tant que le problème du déficit énergétique reste irrésolu.
Des perspectives limitées
Comme le souligne le rapport du FMI, « les perspectives à moyen terme de la région sont incertaines. » Les projections de l’institut mettent en avant le fait que les cours du pétrole resteront nettement en deçà de leurs niveaux antérieurs au choc de 2014. Aussi, l’épuisement des réserves pétrolières devrait entrainer une baisse de la production à partir de 2017. Il est désormais primordial pour la CEMAC d’accroitre ses recettes non pétrolières pour garantir la viabilité macroéconomique de la zone.
Pour autant, les solutions économiques et institutionnelles ne suffiront pas à assurer la stabilité économique de la région. Les attentats terroristes perpétrés par Boko Haram dans la région du lac Tchad perturbent largement l’activité des pays de la CEMAC en ce qu’elle nécessite le lancement d’opérations militaires de grande ampleur. Par ailleurs, les troubles civils en République Centrafricaine (RCA) se poursuivent, mettant en danger la sécurité des pays de la zone.
Ces troubles sécuritaires sont susceptibles de mettre un frein aux efforts d’investissement nationaux et à l’expansion des infrastructures régionales, qui sont nécessaires pour mettre en place une croissance inclusive sur la zone. Sans compter qu’ils fragilisent d’ors-et-déjà un climat des affaires tendu et un investissement privé particulièrement faible.