La jeune franco-tunisienne Sarah Toumi a été désignée par Forbes comme l’une « 30 under 30 », les 30 entrepreneurs de moins de 30 ans les plus prometteurs. C’est l’occasion pour nous de vous présenter son engagement dans l’économie sociale et solidaire (ESS) par le biais du projet Acacias for all lancé dans le sud du Maghreb. Il joue sur une double orientation environnementale et sociale : lutter contre la désertification des zones rurales en Afrique du Nord tout en permettant l’émancipation et l’autosuffisance économique des femmes.
Sarah Toumi, une jeune entrepreneuse prometteuse
Par son père, Sarah Toumi va acquérir un intérêt très prononcé et très précoce pour le secteur associatif. Passionnée par les questions d’égalité des genres face à l’éducation et au travail mais aussi par la protection de l’enfance et le soutien aux jeunes, Sarah Toumi s’engage largement dans des projets liés à la solidarité internationale, à l’éducation et au développement durable. Elle a notamment co-fondé DREAMin, un incubateur de projets d’économie sociale et solidaire avec une forte inclination visant à permettre aux jeunes étudiants de donner corps à leurs idées.
Elle découvre les vertus économiques et environnementales des acacias lors d’un projet scolaire et s’intéresse alors au problème de la désertification en 2006, décrétée année du désert et de la désertification par les Nations Unies. A partir de là, son projet est en marche. En 2008, Sarah Toumi présente au Ministre de l’Environnement tunisien un projet qui consistait à planter des acacias dans les zones rurales du pays pour lutter contre la désertification. Rejetée par le gouvernement, elle ne baisse pas les bras et se lance seule dans le chantier : elle est nommée quelques mois plus tard par Ashoka en tant que « jeune artisan du changement » et la fondation la soutient dans la création deAcacias for all. Elle remporte le prix « jeune entrepreneur » d’Ashoka l’année suivante.
En 2011, Sarah quitte Paris et revient sur sa terre natale tunisienne après la révolution du printemps arabe et constate un terrible accroissement du niveau de pauvreté rurale qu’elle relie à la dangereuse expansion de la désertification et à un inquiétant exode des femmes agricultrices pour aller travailler dans des usines où on les paye avec des salaires de misère.
Une « entreprise sociale pluridimensionnelle »
Acacias for all est une entreprise sociale innovante tunisienne qui récolte les compensations carbones des entreprises et des particuliers pour financer la plantation d’acacias dans les zones rurales qui seront pris en charge par les habitantes locales afin qu’elles puissent devenir de véritables entrepreneuses et que leur image évolue dans leurs communautés.
En parallèle des plantations, l’entreprise dispense une formation en agro-écologie à 50 femmes agricultrices. Après trois années de croissance, les femmes récoltent la gomme des arbres et la vendent à des entreprises du commerce équitable, ce qui leur assure un salaire stable. La gomme arabique est en effet largement utilisée dans la production alimentaire, la peinture, la gravure ou encore la photographie. La vente des produits cultivés assure des moyens de subsistance durables aux femmes agricultrices et à leurs familles vivant dans ces zones rurales.
Le projet permet de lutter contre la désertification et de contribuer à améliorer l’absorption du dioxyde de carbone dans l’air. Les acacias plantés sont issus de semences alternatives, plus écologiques que les traditionnelles cultures conditionnées. Aussi, ces arbres consomment bien moins d’eau que les cultures plus répandues d’olives ou d’amandes, héritées des pratiques des parents des actuels agriculteurs locaux et qui favorisent l’irrigation des terres avec de l’eau salée et accélèrent ainsi la désertification des terres devenues infertiles.
Pour assurer le succès de l’entreprise, Sarah réalise des études empiriques sur les nouvelles opportunités offertes aux agricultrices pour lutter contre l’érosion des sols, la désertification et la pénurie d’eau. En raison des changements climatiques actuels, la désertification du nord de l’Afrique s’est accélérée et les précipitations se font de plus en plus rares. Pourtant l’agriculture, connue pour sa voracité en eau, est la principale source de revenus des habitants de la région. Les bouleversements climatiques actuels nécessitent donc un changement de fond dans les pratiques des agriculteurs locaux pour préserver les terres et compenser l’appauvrissement des ressources en eau. L’environnement dans lequel évoluent les populations a un véritable impact sur leur situation économique et alimentaire : la désertification des zones rurales au Maghreb accroit la pauvreté des habitants et impacte considérablement leur sécurité alimentaire tout en détériorant les bastions du secteur agricole.
Sarah a lancé tout un mouvement dans le sud du Maghreb pour permettre à ceux qui pratiquent l’agriculture durable de devenir propriétaire de leurs cultures afin d’engager une réflexion de long terme sur le devenir des terres. Les agricultrices sont organisés en coopératives afin qu’elles puissent devenir autonomes économiquement et qu’elles soient capables vendre leurs produits sur les marchés internationaux par leurs propres moyens. Dans cette optique, les paysans de ces zones reculées du Maghreb devraient pouvoir sortir de la pauvreté rurale.
Une voix qui porte
En 2013, Acacias for all a été choisi par le gouvernement français comme l’une des 100 innovations destinées à façonner le développement durable en Afrique. Et en effet, le projet de Sarah Toumi se fait de plus en plus connaitre. A l’Institut d’Etudes Politiques de Lyon, des jeunes ont décidé de soutenir Acacias for all en organisant un « Stop solidaire » : des étudiants sont sponsorisés par des entreprises qui s’engagent à reverser de l’argent pour chaque kilomètre parcouru en stop à travers l’Europe afin de financer la plantation de nouveaux acacias. Julia Kobeissi, qui suit actuellement un diplôme sur le monde arabe, souligne que « ce genre d’initiatives est vraiment porteur d’espoir et permet un autre regard sur cette région trop souvent stigmatisée ». Elle a découvert Acacias for all par le biais de la plateforme de crowdfunding Women world wide web et s’est donc d’abord intéressée à la cause féministe du projet : « la femme dans le monde arabe a un statut un peu particulier selon les pays, et l’idée de donner à des femmes vivant dans des régions reculées, arides – et donc étant a priori isolées – des moyens de restaurer l’environnement en s’autonomisant financièrement est vraiment important ! ».
Pour Camille Gautier, une élève de l’IEP qui s’est elle aussi engagée en faveur de l’entreprise, « l’entrepreneuriat social est aujourd’hui une partie de l’avenir : ça regroupe des objectifs de développement alternatif au niveau social mais aussi environnemental et ça permet aux populations de s’investir dans l’environnement dans lequel elles vivent ». Pour Julia, Acacias for all fait figure « d’entreprise sociale pluridimensionnelle » : « dans les pays du monde arabe, [l’aspect environnemental] n’est malheureusement pas une priorité, or ce projet montre qu’on peut allier écologie et économie, ce qui peut être porteur d’idées pour la suite ». Et Camille d’ajouter : « je pense que c’est avec des initiatives locales et régionales comme celle-ci que les choses pourront évoluer ».